Le niqab n'est pas le bienvenu à Cannes
Le Monde.fr | 22.05.2014 à 12h16 • Mis à jour le 22.05.2014 à 12h19 |
Par Clarisse Fabre
C'est officiel, le port du niqab – ce voile qui ne laisse apparaître que les yeux, et couvre le corps jusqu'aux épaules – est interdit lors de la montée des marches, et dans l'enceinte du Palais des festivals. La direction de la communication du Festival de Cannes l'a confirmé au Monde, mercredi 21 mai.
Ces derniers jours, pourtant, sa ligne de conduite sur le sujet était pour le moins flottante, comme le foulard au vent… En voici la preuve avec l'histoire de cette montée des marches peu ordinaire, effectuée comme une performance par une réalisatrice danoise, et ancienne chorégaphe, Charlotte Schioler.
Lire le focus De la difficulté de monter les marches en niqab.
Celle-ci n'est pas musulmane, mais elle s'intéresse aux multiples raisons qui poussent certaines femmes à se revêtir du niqab. Son court-métrage, intitulé Slør, connu aussi sous le nom de Niqab ni soumise, en explore l'une d'elles, sous le mode burlesque : une femme, dans Paris, va se retrouver à porter le niqab, dans le cadre de sa recherche d'appartement. Ce film est inscrit au Short Film Corner de Cannes. C'est pour cette raison que la jeune femme a fait un séjour sur la Croisette. Là, elle a décidé de se livrer à une expérience. « J'ai voulu savoir si je pouvais monter les marches revêtue du niqab. J'ai donc fait la demande auprès du service de sécurité. Je n'ai pas de trace écrite de la réponse qui m'a été faite. Mais un agent qui a des années de métier m'a expliqué qu'ils avaient reçu des ordres, par mail, de ne pas discriminer les personnes portant des signes religieux, y compris le niqab », raconte-t-elle.
De fait, sa première tentative a été une réussite : le jeudi 15 mai, elle a foulé le tapis rouge, voilée, pour assister à la projection de Mr. Turner, de Mike Leigh – un article en ligne du quotidien algérien francophone Liberté s'en est fait l'écho.
PRISE DANS LE FILET À PAPILLONS
Mais, le dimanche 18 mai, en revanche, Charlotte Schioler a été prise dans le filet à papillons. « J'étais avec mon ami. Nous avons passé les deux premiers points de sécurité pour voir le film de Tommy Lee Jones, The Homesman. Mais, au moment de monter les marches, on m'a interpellée, en me demandant d'enlever le voile ». Elle a protesté, puis s'est ravisée : « Je voulais voir le film », dit-elle. Elle a gravi les marches tête nue, puis l'a remis en arrivant dans le hall, à l'abri des caméras. « Là, nous avons été dirigés un peu à l'écart. Des agents de sécurité et la police ont voulu vérifier notre identité. Mon ami avait laissé son passeport à l'hôtel mais il avait tout de même son badge d'accréditation officielle du festival. On nous a menacés de nous emmener au commissariat. Quand mon ami, noir américain, essayait de s'expliquer, les agents lui répondaient “No english !”. Ils ne parlaient pas anglais ».
Un des responsables de l'accueil des VIP, qui lui est « english fluent », a été appelé pour régler le malentendu. Nous l'avons rencontré brièvement, mercredi, dans l'enceinte du Palais, avec sa tenue officielle, nœud pap' et oreillette branchée en permanence. Confirmant les faits rapportés par la réalisatrice danoise, il nous a fait part de son désaccord avec l'attitude du service de sécurité. « Le Festival de Cannes, c'est la tolérance, le mélange des cultures. Pourquoi on autorise un jour la montée des marches avec le niqab, pour l'interdire quelques jours plus tard ? Est-ce qu'on ferait pareil s'il s'agissait d'un curé en soutane ? », s'interroge-t-il. Lui-même vient de se convertir à l'islam. Avec cette affaire, dit-il, il se sent stigmatisé.
DIMENSION RELIGIEUSE
La comparaison avec le curé n'est pas inintéressante, car la dimension religieuse est bien l'enjeu de cette affaire, du moins en creux. La loi du 11 octobre 2010, « interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public » ne fait pas référence aux signes religieux. Car ce serait contraire au principe de la liberté d'expression religieuse. Si, dans le langage courant, on parle de la loi « qui interdit le port de la burqa », c'est parce que le texte a été initié, au départ, pour mettre fin à cette pratique. A priori, si l'on suit cette loi, il apparaît logique que le niqab soit interdit au Palais des festivals.
Mais, comme l'explique le sociologue Eric Fassin, la loi est inégalement inappliquée : « Alors qu'on interdit aux Indignés le masque Anonymous, on a toléré les Homen masqués de la Manif pour tous ». Il ajoute : « Il faudrait savoir exactement ce qu'interdit le Festival de Cannes. S'agit-il d'interdire la montée des marches avec le visage couvert ? Auquel cas les chanteurs actuels qui se casquent ou cachent leurs visages, comme les Daft Punk, seraient interdits de tapis rouge… Ou bien le Festival de Cannes interdit-il les signes religieux ? Et alors, Michel Piccoli ne pourrait pas venir en tenue papale, comme dans le film de Nanni Moretti, sans même parler des authentiques curés ! ». Nous n'avons pas pu obtenir, de la part du Festival de Cannes, le texte officiel décrivant précisément les contours de L'interdiction.
Revenant sur l'expérience de la réalisatrice danoise, Charlotte Schioler, le sociologue Eric Fassin conclut : « Voilà une performance qui produit du sens, politiquement. Il s'est passé des choses, en quelques jours, à Cannes.
Je serais curieux de savoir comment seraient accueillies à l'avenir des personnes au corps voilé mais au visage découvert, ou à l'inverse, le visage voilé mais le corps dénudé ».
Eric Fassin est sociologue et coauteur, avec Judith Surkis, d'un article sur les performances artistiques et les signes religieux, comme la burqa, intitulé « Transgressing Boundaries », paru dans la revue américaine Public Culture (automne 2010).
Clarisse Fabre Reporter culture et cinéma Suivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter.
Culture
Lundi, 19 Mai 2014 09:50
Une réalisatrice monte les marches en niqab
Par : Houchi Tahar
Le Festival de Cannes est un lieu d’excentricité par excellence.
La présence des médias conduit les gens, notamment les artistes, à pousser les choses jusqu’à l’extrême pour donner écho à leur idées et causes.
On a imaginé des Femen monter les marches seins nus, mais on a eu droit au contraire. Présente à Cannes pour accompagner son court métrage Niquab ni soumise, présenté au Short Corner, la Danoise Charlotte Schioler a eu l’idée de faire la montée des marches habillée en niqab.
Même avec le port d’un voile intégral, la sécurité ne l’a point empêché de monter les fameuses marches cannoises. “J’ai fait cela à 14h, à l’heure où il n’y pas de caméras.
Je vais retenter cela un autre jour à l’heure de la montée des marches du soir”, nous a affirmé la réalisatrice. Et d’ajouter : “La sécurité n’a aucune indication pour me priver de fouler le tapis rouge avec l’habit qui a été au centre de mon film”.
Enfin, elle conclut : “En plus, je me suis fait livrer deux voiles depuis Dubaï, spécialement pour le Festival de Cannes. J’ai montré le premier et je compte utiliser le deuxième prochainement”. Pour rappel, son film raconte l’histoire rocambolesque d’une Hollandaise.
Une série de scènes burlesques se produit lorsque cette dernière cherchant un appartement à Paris, décide de porter le voile intégral pour atteindre son objectif.
T. H

